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Entretien : La Testostérone, moteur de l’histoire des civilisations ?

 

Trouver un intellectuel international qui se revendique ouvertement comme Randien (disciple d’Ayn Rand) n’est pas chose courante. D’où l’intérêt de cet entretien réalisé par Grégoire Canlorbe. Son interlocuteur :  Roy Barzilai, un chercheur israélien, auteur  de The Testosterone Hypothesis : How Hormones Regulate the Life Cycles of Civilizations paru en mai 2015.

Il s’agit d’un livre tout à fait étonnant qui, au croisement de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, entraîne le lecteur dans le monde fascinant (et discuté) de la pensée transhumaniste contemporaine.

Cet entretien est toutefois à lire avec une esprit critique car il démontre comment, une fois de plus, la folie moderne de l’ingénierie sociale et de la recherche de la bonne société, peut mener même un esprit des plus individualistes (au sens pleinement libertarien du terme) à endosser des fins parfaitement incompatibles car intrinsèquement totalitaires. Un sujet pour une bonne discussion.

Roy Barzilai est un expert indépendant qui a étudié à la fois la philosophie objectiviste d’Ayn Rand et la philosophie du langage de Rivka Schechter, ancrée dans la bible hébraïque. La synthèse de la philosophie aristotélicienne de Rand et du credo biblique du monothéisme éthique apportent un éclairage important sur les idées qui ont façonné l’esprit occidental. En explorant l’histoire intellectuelle de la civilisation occidentale, Roy cherche à atteindre une connaissance plus profonde de l’esprit humain.

En tant qu’analyste financier pendant plus d’une décennie, Roy a pris conscience de la mentalité moutonnière propre aux marchés financiers. Il a étudié le principe des vagues relatives au comportement social humain et cette nouvelle science qu’est la socionomie, se concentrant sur l’impact du changement des émotions collectives sur la société, les idées, la philosophie, la culture et l’économie. Ce dynamisme est le moteur de l’histoire.

Roy est diplômé en droit, comptabilité et informatique de l’université de Tel Aviv. Il est l’auteur des livres The Objective Bible, publié en 2014, et The Testosterone Hypothesis, publié en 2015.

Grégoire Canlorbe: Les philosophes et les scientifiques semblent être généralement hostiles envers les prétendus “droits naturels” qui appartiendraient aux êtres humains en tant que tels et qui servent à justifier que les gens ne doivent pas être entravés dans la conduite de leur vie, leur liberté et leur recherche du bonheur. À l’instar des sorcières, des licornes ou des Schtroumpfs, il est argué que toute tentative de justifier l’existence de tels droits a échoué. Croire aux “droits naturels” reviendrait à croire aux sorcières et aux licornes.

Êtes-vous d’accord avec cette opinion largement répandue?

Roy Barzilai: Cette hostilité au concept de “droit naturel” parmi les cercles intellectuels est une des manifestations les plus flagrantes de la dégénérescence de la culture occidentale. Elle se détériore alors que cette même culture a jadis élevé l’individu à un statut juridique en conformité avec sa nature d’être humain libre, qui requiert la liberté de penser et d’exercer sa faculté de raison associée à son esprit. Bien entendu, les “droits naturels” émanent de la nature de l’homo sapiens, l’homme rationnel, en tant que seul être qui exerce la faculté de raison pour diriger sa vie et veiller à son bien-être.

Comme Ayn Rand l’a parfaitement exprimé, de par sa nature, l’homme doit utiliser son esprit s’il veut vivre et prospérer. Une société civilisée et éthique ne peut exister que dans une culture centrée sur la raison, la faculté de l’esprit indépendant. Les attaques des intellectuels contre l’esprit humain et la liberté individuelle qu’il requiert pour fonctionner au mieux de ses capacités montrent la nature suicidaire de la culture occidentale contemporaine, lancée sur la route de la servitude, effectuant un retour vers l’âge des ténèbres.

Grégoire Canlorbe: The Testosterone Hypothesis est dédié à démontrer principalement deux choses: premièrement que les périodes de fertilité déclinante sont un signal d’effondrement des taux de testostérone; et deuxièmement que cette testostérone déclinante, qui s’accompagne d’une baisse des taux de sérotonine et de dopamine, mène à un état d’esprit qui fait que les gens vénèrent des “idéologies mortifères” telles que le socialisme ou l’ethnocentrisme. Dans cette optique, les hormones génèrent le déclin des civilisations de la même manière qu’elles commandent aux cellules d’un corps âgé d’exécuter la mort programmée et de mettre un terme au cycle de vie d’un organisme.

Pourriez-vous revenir méticuleusement sur ces affirmations et développer l’apport des différentes études en neuroscience à l’appui de cette thèse ?

Roy Barzilai: Les niveaux déclinants de testostérone ont pour effet, entre autres choses, de compromettre le maintien de la fertilité du fait d’une qualité de sperme réduite. Une étude mentionnée dans mon livre montre que, parmi les hommes Finlandais entre 1940 et 1990, la quantité de spermatozoïdes et le volume de sperme avaient diminué de 50%. D’autres études confirment la baisse de qualité du sperme et des niveaux de testostérone durant les mêmes décennies ailleurs dans le monde, établissant une forte corrélation avec les taux de fertilité en baisse, spécialement depuis les années 1960. Ainsi, l’étude des données sur les taux de fertilité nous permette d’observer ces corrélations et de postuler que des périodes caractérisées par de faibles taux de fertilité indiquent une moindre testostérone.

The Testosterone Hypothesis affirme que cette crise endocrinienne affecte la vision du monde propre à une culture: la testostérone déclinante, qui s’accompagne d’une baisse des taux de sérotonine et de dopamine, génère un état d’esprit davantage en proie à l’anxiété, la passivité, la peur et la violence. Inversement, la testostérone stimule la dopamine chez les hommes, ce qui développe la concentration, la recherche d’un objectif, une sensation de bien-être et la vitalité. Néanmoins, une vitalité psychologique affaiblie est susceptible de rendre des populations entières en proie à l’esprit de meute, la mentalité moutonnière et la manipulation par des forces idéologiques. Bien que l’empathie soit une qualité importante parmi les humains, si l’esprit d’empathie n’est pas contrebalancé par l’esprit de raison, le moteur de l’excellence individuelle dans une société est bridé, parfois même carrément mis à l’arrêt. Dès lors, quand on contemple l’histoire, il peut être postulé que, lorsque des cultures sont supprimées par des tyrans – y compris la tyrannie de la foule – lorsque la créativité, l’ingénuité et la prospérité sont supplantées par la peur, la réserve et l’indigence, les êtres humains sont amenés à adorer, comme vous le mentionnez dans votre questions, les idéologies mortifères ; et il est très probable que ceci soit l’effet de niveaux déclinants de testostérone.

Selon les recherches que je présente dans le livre, les systèmes biologiques multicellulaires sont des organisations sociales complexes qui suivent des cycles de développement de manière synchronisée, utilisant les hormones comme messagers chimiques afin de former des réseaux de communication. Les cycles récurrents de croissance et de déclin chez un organisme humain (qui est après tout une société de cellules) ou chez une culture humaine, composée d’un grand nombre d’organismes individuels, sont contrôlés et régulés par les hormones de croissance et de stress.

Grégoire Canlorbe: Vous suggérez par ailleurs que nos cycles hormonaux, outre notre humeur collective, façonnent même notre compréhension de la réalité et nos croyances scientifiques. À cet égard, les hormones sont le facteur ultimement responsable du récent basculement de notre perception de la réalité et de notre conception de la science, par lequel une vue mécanistique, newtonienne et logique de l’univers propre à la science moderne, a cédé la place à une appréciation mystique et postmoderne du monde selon laquelle celui-ci existerait au-delà de nos sens.

Pourriez-vous expliciter et développer cette affirmation-clé?

Roy Barzilai: L’esprit dopaminergique est une fonction du cerveau humain qui opère à de hauts niveaux de dopamine et est à cet égard une caractéristique de la personnalité à forte testostérone. Notre néocortex est une machine de reconnaissance des formes composée de milliards de neurones. Mais ce sont les neurotransmetteurs, en premier lieu la dopamine, qui associent des émotions à l’information que notre esprit collecte et qui lui donnent un sens, déterminant à cet égard la manière dont nous interprétons le monde. Le mode d’intégration selon lequel notre cerveau est motivé à opérer est déterminé par le niveau de ces neurotransmetteurs.

Les êtres humains tendent à former deux grandes visions du monde. La première consiste en une vision du monde tournée vers la réalité, dans laquelle nous cherchons à déceler des tendances à l’ordre dans la nature à des fins de contrôle pour maintenir et encourager la vie sur terre. La deuxième survient lorsque nous souhaitons échapper à la réalité en nous plongeant dans les dimensions irrationnelles d’un monde platonicien et dès lors sacrifier notre vie et notre bien-être sur terre. Les deux sont déterminées par la configuration hormonale de notre cerveau. Ainsi, la vision newtonienne d’un univers ordonné qui vint à être prédominante au cours du Siècle des Lumières était un produit de la montée en puissance de l’esprit dopaminergique qui cherche à connaître la nature pour la commander et pour améliorer la vie humaine.

Grégoire Canlorbe: Dans la parfaite lignée d’Ayn Rand, votre mentor intellectuel (avec Rivka Schechter), vous tenez les phénomènes suivants pour des signaux forts de notre dégénérescence civilisationnelle contemporaine :

  • L’effondrement de la famille avec un haut taux de divorce et la montée de foyers monoparentaux ;

  • La popularité des musiques rap et hip-hop qui célèbrent le thème des gangsters tout en dénigrant la règle de droit et en vantant la violence envers les femmes ;

  • La prédominance de la philosophie postmoderne et du relativisme culturel dans les milieux académiques, dénigrant le modèle politique occidental axé autour du capitalisme ainsi que les valeurs familiales ;

  • Et par dessus tout, l’émasculation culturelle des hommes, à travers l’attirance des femmes pour des hommes plus féminisés, les attaques sur tous les fronts sociaux, dès le plus jeune âge, envers les caractéristiques traditionnelles de la masculinité, et l’ascension rampante d’une promotion systématique de l’homosexualité et de la pansexualité.

Un tel dénigrement de la masculinité était particulièrement décrit et dénoncé par Ayn Rand, parmi les symptômes du déclin occidental. « Pour une femme, elle écrivait, l’essence de la féminité est la vénération du héros, le désir d’admirer un homme. Admirer ne signifie pas dépendance, obéissance ou quoi que ce soit impliquant l’infériorité. Cela réfère à une forme intense d’admiration […]. La vénération du héros est une vertu exigeante: une femme doit être méritante et mériter le héros qu’elle vénère. Intellectuellement et moralement, c.à.d. en tant qu’être humain, elle doit être son égal ; alors l’objet de sa vénération est sa masculinité spécifiquement et non une vertu qu’elle ne possède pas. »

Pouvez-vous développer cette analyse véhémente de notre suicide culture ; et, en particulier, mettre en lumière les mécanismes hormonaux impliqués ?

Roy Barzilai: L’évolution biologique est un processus impliquant des organismes qui s’adaptent à des conditions environnementales changeantes. Le premier moteur de la vie sur terre est les radiations solaires, et les cycles solaires sont la force motrice qui régissent les cycles de vie sur terre via la régulation hormonale selon les rythmes circadiens ainsi que les cycles quotidiens de clarté et d’obscurité. Néanmoins, la science moderne de l’évolution repose encore sur la prémisse Aristotélicienne erronée selon laquelle le soleil est une force statique qui émet des niveaux constants d’énergie. Au chapitre 6, je démontre clairement que les schémas de reproduction sexuelle dans l’histoire des cycles d’ascension et de déclin des cultures occidentales sont en fait le produit de niveaux variables de radiation électromagnétique globale.

En ce sens, ce que notre culture décrit comme des mouvements d’émancipation ou libération des femmes à travers les révolutions socialistes que nous avons pu constater dans les années 1960 et encore de nos jours, ne sont en fait rien de plus que des réactions sociétales suite aux niveaux déclinants de testostérone qui assurent la génération des hormones de croissance et d’autres produits chimiques heureux (« happy chemicals » dans le texte, note du traducteur), telles que la dopamine et la sérotonine, dans le cerveau humain. Avec le déclin de l’esprit dopaminergique possédant une perspective à long terme et cherchant à créer des relations et systèmes à long terme, à la fois les hommes et les femmes ne veulent plus fonder de familles, ce qui requiert un engagement d’une très longue portée pour élever et éduquer des enfants. Ceci est évident dans la révolution sexuelle des années 1960 qui cherche le plaisir sexuel à court terme même si cela se termine par un avortement ou une mère célibataire aux dépens des enfants.

La montée en puissance et la domination de la philosophie postmoderne dans les milieux académiques au 20e siècle est une conséquence évidente de l’effondrement de l’esprit dopaminergique, sapant les fondations de la science Newtonienne : l’ordre, la logique et la raison, qui avaient été édifiées durant le Siècle des Lumières, la modernité et la culture des droits individuels. L’anxiété et la peur associées à un taux de sérotonine déclinant sont caractéristiques de la mentalité nihiliste dans laquelle le postmodernisme a ses racines.

Peut-être la manifestation culturelle la plus évidente de ce mécanisme biologique – le taux déclinant de testostérone – est l’émasculation des hommes via l’homosexualité, l’asexualité et le féminisme radical qui défient toutes les valeurs familiales traditionnelles et appellent à la fin de la différenciation sexuelle afin de créer une société homogène. L’idéal socialiste d’égalité et de similarité de tous trouve son origine dans l’effondrement des hormones responsables de la croissance et des tendances à la différenciation dans la biologie cellulaire comme dans les interactions individuelles au sein de l’organisme social.

Grégoire Canlorbe: Selon Ayn Rand, “la compétition est un sous-produit du travail productif et non un but en soi”; en d’autres termes, « un homme créatif », i.e., un esprit dopaminergique, « est motivé par le désir d’accomplir et non par la volonté de battre les autres. » Je conteste personnellement cette dichotomie randienne entre le désir d’accomplir et la volonté de battre les autres.

À mes yeux, ces deux forces ne sont pas incompatibles; elle peuvent s’exclure l’une l’autre tout comme elle peuvent cohabiter ; et c’est en dernier ressort leur juste équilibre qui permet à un (authentique) esprit productif de donner la pleine mesure de son inventivité. Ici comme ailleurs, les opposés se rejoignent au sommet; leur coopération permet une génération désinhibée, fluidifiée et optimisée de nouveautés spirituelles et matérielles.

Mais il n’est pas surprenant qu’un système métaphysique qui normalise et écorne tel que l’objectivisme, affirmant que “A est A” (et de la sorte niant le fait que les opposés puissent non seulement coexister mais coopérer), échoue à reconnaître cette dimension ambivalente propre à un esprit créatif.

À la réflexion, endossez-vous cette critique à l’égard d’Ayn Rand?

Roy Barzilai: En analysant la philosophie d’Ayn Rand, il faut garder à l’esprit qu’elle constitue le produit d’une forme extrême d’esprit dopaminergique qui recherche l’ordre parfait dans la nature ainsi que la souveraineté totale de l’esprit. Je suis entièrement d’accord avec Ayn Rand quant au fait qu’un esprit productif vise à dominer la nature et non l’homme. Ceci est évident avec la Déclaration d’Indépendance américaine qui prône la vie, la liberté et la poursuite du bonheur dans le contexte des Lumières, ce qui est clairement un produit de l’esprit dopaminergique.

Cependant, il est tout à fait pertinent d’affirmer que la nature se sert de contradictions dans son processus de création. L’usage le plus célèbre de cette idée est celui qu’en fait la dialectique Hégélienne, laquelle envisage le progrès de l’histoire comme la perpétuation à une échelle toujours plus grande d’un cycle de création et de destruction de l’individualisme. Cette relation est étudiée dans cette branche des mathématiques modernes qu’est la géométrie fractale, laquelle traite de structures qui sont fracturées de manière similaire et qui se répétent à différentes échelles pour former un ensemble.

La nature s’exprime à travers des périodes de croissance et de création, lorsqu’elle élève l’esprit dopaminergique pour créer l’ordre et la complexité, comme à travers des périodes de consolidation, de destruction et de retour à l’état primitif qui visent uniquement à préparer le terrain pour le prochain cycle à venir.

Grégoire Canlorbe: La mémétique, une théorie de l’esprit initiée par Richard Dawkins dans son best-seller de 1976, The Selfish Gene, argue que la culture humaine est composée d’”unités d’information”, qui sont “hébergées” dans les esprits d’un ou plusieurs individus et qui peuvent se reproduire en sautant d’un esprit à l’autre à la manière d’un ”virus culturel”. Dès lors, ce qui serait autrement regardé comme une certaine série de processus neurobiologiques menant un individu à adopter une croyance est vu ici comme un réplicateur d’idées « infectant” l’esprit. Notre activité neuronale est l’œuvre de notre culture, et non l’inverse.

Accordez-vous quelque pertinence à cette approche émergentiste ou condamnez-vous sans appel l’hypothèse mémétique?

Roy Barzilai: Je pense que les idées évoluent selon un processus continu à la confluence du patrimoine culturel d’une société et des stimulants hormonaux qui motivent l’esprit humain à apporter des interprétations différentes et des approches nouvelles. Ceci ressort clairement à l’analyse de l’histoire occidentale qui est bien documentée. Si vous envisagez les idées comme l’ADN d’un patrimoine génétique culturel, i.e., un ensemble d’unités basiques d’information qui donne naissance à une culture, et la société comme un organisme, un phénotype, notre héritage judéo-chrétien apparaît comme une incroyable base de données chronologique façonnée par quatre millénaires d’évolution culturelle. Dès lors, en appliquant aux sciences sociales des méthodes similaires à celles que nous utilisons en biologie, nous pouvons approfondir et améliorer considérablement notre connaissance par l’intégration de différentes disciplines.

Ainsi, vu sous cet angle, je suis d’accord avec Dawkins pour appliquer le modèle des gènes qui se répandent dans les systèmes biologiques aux idées qui se propagent dans les cultures humaines. Néanmoins, Dawkins montre un penchant pessimiste kantien vis-à-vis de l’esprit humain qu’il considère comme déconnecté de la réalité et incapable de montrer le moindre degré de libre arbitre. Observez que ses deux best-sellers furent publiés lors de périodes d’humeur collective extrêmement négative, accompagnée de l’effondrement de l’esprit dopaminergique (entraîné par la baisse des radiations solaires comme montré dans le tableau de l’Ap Index chart au chapitre 6 de mon livre).The Selfish Gene fut publié en 1976 et The God Delusion en 2006.

Avec l’aimable autorisation de David Archibald

Grégoire Canlorbe: Dans son essai de 2010, The Genius of the Beast: A Radical Re-vision of Capitalism, Howard Bloom propose une approche radicalement naturaliste des cycles d’expansion et de récession de l’économie, selon laquelle les dépressions et les périodes fastes sont la manifestation d’un “cosmos cherchant sur Google son avenir » à travers nos émotions de masse cycliques.

« Nos gourous économiques, Howard Bloom écrit, nous avaient donné l’impression que des crashes catastrophiques comme la Grande Dépression de 1929 – 1939 ne se reproduiraient jamais. Pourquoi ? Les économistes avaient enfin craqué le code du cycle économique. Ils avaient trouvé les secrets qui empêchaient les baisses de devenir des chutes libres. Leurs outils ? Augmenter et baisser les taux d’intérêt, savoir comment et quand devenir des sauveurs financiers – des « prêteurs en dernier ressort »… Ces techniques ont-elles marché ? Pas du tout…

Parce que les crashes économiques ne sont pas la faute des « vilains ». Ils ne sont pas le résultat de choses obscures comme des instruments de crédit et des prêts subprimes (ce sont des prêts dont la solvabilité des débiteurs est de qualité fort inférieure à la moyenne, note du traducteur) partis en vrille. Ils sont construits dans notre biologie… Ils viennent de nos émotions et de nos perceptions. Ils viennent de la manière dont nous nous sentons et dont nous voyons. Qui plus est, [ils] viennent des bio-cycles que nous contribuons à produire quand nous faisons partie d’un groupe. Ils viennent de l’âme d’une société…

Les cycles d’expansion et de récession ne sont pas l’apanage des êtres humains. Ils survinrent lorsque la vie commença il y a 3.85 milliards d’années. Ils se manifestèrent parmi nos premiers ancêtres, les bactéries. Ensuite, ils réapparurent dans chaque autre bête qui vit en groupes, en essaims, en colonies, en communautés et en troupeaux. Pourquoi ? Parce que l’expansion et la récession – le cycle des périodes fastes et des dépressions — exercent une fonction vitale pour la société. Quel en est le but ? L’exploration, la consolidation et la  réinvention. Apprendre, penser et créer. Fonctionner comme un moteur de recherche évolutif. Opérer comme un engin séculaire originel. »

En tant que fervent adepte de la socionomie, quelle influence cette analyse a-t-elle exercée sur votre propre pensée? Êtes-vous en accord avec la vision de Bloom sur les cycles émotionnels en tant que forces sous-jacentes des fluctuations des économies humaines?

Roy Barzilai: Je suis en harmonie complète avec l’anayse Bloomienne de l’ancrage biologique des cycles émotionnels qui se montrent à l’œuvre dans l’histoire de l’économie et des marchés financiers. La ligne de pensée originale de Bloom est exactement ce qui fait débaut dans notre culture académique contemporaine ; et nous devons atteindre un niveau de compréhension beaucoup plus élevé de notre nature complexe, suppléant l’approche réductrice qui domine la pensée scientifique de nos jours. Le même processus d’évolution à l’œuvre à travers les cycles biologiques de croissance et de déclin des organismes, de prospérité et d’extinction des espèces, régit la volatilité de notre histoire culturelle, qui oscille entre des périodes de prospérité et de croissance et des périodes de dépressions, de guerres et d’exterminations de masse.

Grégoire Canlorbe: Ayn Rand et Friedrich Nietzsche tiennent tous deux la vie humaine pour le critère propre des valeurs morales, tout en développant et en soutenant deux conceptions de la vie diamétralement opposées.

Pour Rand, être vivant consiste à maintenir et promouvoir sa propre existence; à cet égard, un comportement moral consiste à penser de manière rationnelle et à échanger des biens et des services avec autrui (sur la base des avantages comparatifs) en vue de la survie mutuelle. Pour Nietzsche, le sens de la vie n’est pas simplement d’exister mais d’aller de l’avant, de conquérir et de dominer ; à cet égard, comme il le résume de manière éloquente au paragraphe 259 de Par-delà le Bien et le Mal, un code de valeurs sain inclut « appropriation, agression, assujettissement de ce qui est étranger et plus faible, oppression, dureté, imposition de ses propres formes, incorporation, et, tout au moins exploitation. »

Nietzsche condamne sur cette base le principe de non-agression et l’égalité des droits, inflexiblement défendus par Rand quelques décennies plus tard; il prend parti pour les sociétés aristocratiques qui croient en une hiérarchie des rangs et un échelonnement de valeur parmi les êtres humains et qui pratiquent l’esclavage d’une manière ou d’une autre. « S’abstenir réciproquement de froissements, de violences, d’exploitations, coordonner sa volonté à celle des autres, écrit Nietzsche, cela peut, entre individus, passer pour être de bon ton, mais seulement à un point de vue grossier, et lorsque l’on est en présence de condition favorable (c’est-à-dire qu’il y a effectivement conformité de forces à l’intérieur d’un corps, et que les valeurs s’accordent et se complètent réciproquement). Mais dès que l’on pousse plus loin ce principe, dès que l’on essaye d’en faire même le principe fondamental de la société, on s’aperçoit qu’il s’affirme pour ce qu’il est véritablement : […] un principe de décomposition et de déclin. »

Pour le dire de manière anachronique, l’aristocratie est l’œuvre de la testostérone: elle émane de la force de volonté désinhibée de la caste noble et de son ardent désir de pouvoir. Réciproquement, sa disparition récente (en faveur des société égalitaristes) est le produit du déclin de la testostérone parmi les anciens maîtres. Un tel changement civilisationnel est ultimement symptomatique d’une « volonté de déni de la vie »; car « [c]e corps social, dans le sein duquel […] les unités se traitent en égales — c’est le cas dans toute aristocratie saine —, ce corps, s’il est lui-même un corps vivant et non pas un organisme qui se désagrège, doit agir lui-même, à l’égard des autres corps, exactement comme n’agiraient pas, les unes à l’égard des autres, ses propres unités. Il devra être la volonté de puissance incarnée, il voudra grandir, s’étendre, attirer à lui, arriver à la prépondérance. »

En tant qu’intellectuel objectiviste revendiqué, que rétorqueriez-vous en faveur de la conception randienne de la vie et de la politique ?

Roy Barzilai: Je pense que cette conception effroyable de la nature humaine développée par Nietzsche, ainsi que sa croyance selon laquelle nos actions sont régies en dernière instance par nos instincts animaux (plutôt que par notre raison) ; et sa vision de la société comme une lutte ou compétition pour la domination parmi des groupes tribaux ou des classes, sont toutes ancrées dans son éducation selon la tradition prussienne et luthérienne adoptant une vue du monde fondamentalement malveillante. Comme j’en fais l’analyse dans The Objective Bible, il appartient à une longue lignée de philosophes allemands luthériens, à partir de Luther lui-même, en passant par Kant, Hegel, Marx, Nietzsche et finalement Heidegger, qui ouvrirent la voie en faveur de la montée en puissance et de la domination de la pulsion de mort sous le national-socialisme de l’Allemagne hitlérienne. Ceci était la conséquence idéologique et culturelle du déclin graduel et de l’effondrement final de l’esprit dopaminergique pendant la période 1800-1933 en raison de la baisse de la testostérone.

Comme je le démontre dans mon livre, la personnalité à forte testostérone cherche à dominer la nature afin de promouvoir la vie. La philosophie anti-testostérone de Nietzsche souhaite dominer l’humain afin de détruire la vie. De plus, son idéalisation du conflit de groupe et de l’ethnocentrisme est en fait un produit des hormones de haut stress et de l’ocytocine.

En revanche, Ayn Rand exalte la vertu de la raison, l’éthique de la vie et à cet égard le système capitaliste.

Grégoire Canlorbe:The Testosterone Hypothesis conclut en suggérant qu’afin de libérer l’humanité des machinations inhérentes à la structure de notre cerveau, développée au cours de centaines de millions d’années d’évolution, nous devons laisser l’esprit humain, ou la pure raison associée au néocortex, exercer sa souveraineté sur les parties primitives du cerveau et tenir compte des enseignements de Bacon : “La Nature, pour être commandée, doit être obéie.” Étant donné que la testostérone est une hormone de croissance qui crée l’esprit dopaminergique, augmenter son efficacité et intervenir dans le cycle arbitraire de la nature seraient un comportement rationnel et moral. Il est de notre plus grand intérêt en tant qu’espèce de créer une culture humaine qui transcende les processus biologiques déterministes.

Pourriez-vous spécifier les moyens que vous envisagez à cette fin de révision radicale de notre espèce ? Considérez-vous le transhumanisme comme une voie positive vers ce but ambitieux?

Roy Barzilai: Mes recherches démontrent que les hormones sont les mécanismes de régulation qui régissent l’histoire, mais nous devrons aussi mettre au jour l’algorithme ou concept mathématique derrière les forces créatrices de l’évolution pour que l’humanité en sorte finalement triomphante et apprenne à contrôler le processus de création lui-même. La montée du mouvement transhumaniste, mené par des futuristes de la nouvelle technologie tels que Ray Kurzweil, est en fait un produit de notre tendance inhérente à changer et évoluer pendant des périodes de stress intense perçu par notre système biologique ; et ce, afin de nous adapter aux conditions environnementales changeantes. L’évolution tisse sa trame en continu dans notre ADN, mais en tant qu’espèce rationnelle, nous détenons la clé de notre propre évolution en transcendant nos propres limitations biologiques et en étant capables de nous reprogrammer nous-mêmes et maîtriser nos mécanismes de contrôle – nos hormones.

Grégoire Canlorbe: Merci pour votre temps et vos explications. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Roy Barzilai: Je souhaite ajouter que nous sommes à un carrefour important pour l’humanité comme nous nous trouvons au sommet d’une période multiséculaire de grandes avancées technologiques, mais notre cerveau, avec le déclin de l’esprit dopaminergique, se retourne contre nous, nous signalant de stopper ces avancées et de retourner à l’état primitif. Freud nommait cela la pulsion mortelle qui motive un organisme à mourir et à retourner vers l’inorganique. C’est notre mission, si nous voulons vivre et prospérer, de redéfinir le programme de l’évolution afin de continuer à remplir notre rôle fondamental et mener notre destinée vers un futur meilleur.

Je suis très heureux d’avoir eu la merveilleuse opportunité d’échanger avec un homme aussi réfléchi que vous.

Propos recueillis par Grégoire Canlorbe (Traduction André Thibaut)